jeudi 15 mars 2007

LA ROUTE HISTORIQUE



AXOUM


Au commencement était la mer Rouge. Lien davantage que fossé, on ne le soulignera jamais assez. Et de part et d’autre de cette faille, longue de plusieurs centaines de kilomètres, Ethiopie et Yémen offrent des paysages semblables et aussi des populations dont l’histoire a été longtemps entremêlée.

Ainsi des populations sémites d’origine sud-arabique ont-elles franchi la mer dans le cours du premier millénaire avant notre ère, ont elles abordé l’étroite bande côtière entre la frontière soudanaise et Massaoua, ont-elles gravi l’escarpement afin d’échapper au climat infernal des côtes et se sont installées sur le haut plateau septentrional ?






Ceux que l’historien connaît sous le nom de Sabéens contrôlent alors les rives tant orientales qu’occidentales de la mer Rouge. C’est l’époque où se forge le mythe sur lequel reposera pendant près de deux mille ans la monarchie éthiopienne : celui de la reine de Saba.

Mais l’Ethiopie, faut il dire pour cette période le Tigré ou mieux encore le Tigré et la partie sud de l’Erythrée ? N’entre dans l’histoire en qualité d’entité individualisée que lorsque l’empire sabéen déplace son centre de gravité d’Asie en Afrique et fait d’Axoum sa capitale.

Il faut se rappeler de la légende du roi Salomon et de la reine Makeda dont l’union donnera le jour au roi Menelik, 1er fondateur de la dynastie salomonienne d’Ethiopie qui régna 25 ans de 982 à 957 avant Jésus-Christ.

HAILE SELASSIE
(Puissance de la Trinité)
1892/1975
a été le 225ème descendant de la dynastie salomonienne



LALIBELA





C’est une période noire pour la dynastie salomonienne. Détrônée, elle se réfugie dans une lointaine province – le Shoa – et y règne de façon clandestine. Le trône d’Ethiopie est occupé par une dynastie illégitime – les Zagoués – dont l’inter règne de 11 souverains durera en tout 333 ans, 3 mois et 3 jours, de 920 à 1253 de l’ère chrétienne éthiopienne.

Au XIIème siècle, un prince naquit à Roha, province de Lasta. A sa naissance, un essaim d’abeille l’entoura et sa mère s’écria : « …les abeilles savent qu’il sera Roi … » et nomma l’enfant Lalibela (les abeilles chantent sa royauté).

Le garçon fut baptisé. A mesure qu’il grandissait, la jalousie du monarque de l’époque s’amplifiait et il finit par l’emprisonner.

Alors qu’il oscillait entre la vie et la mort, Dieu transporte ce prince au Paradis et lui explique sont grand projet : Lalibela allait survivre et devenir Roi. En échange de quoi il devait construire onze églises ne ressemblant à aucune autre au monde selon un plan que le Tout-Puissant lui révéla.

Rentré à Roha sur les ailes de l’Archange Gabriel, assis sur le trône en 1133 et décidé à reproduire la « Nouvelle Jérusalem », il commença la construction des églises à Roha dont il donna son nom : Lalibela.

Sa femme et lui firent venir d’Alexandrie 500 ouvriers ayant à leur tête un certain Sidi Meskal.

Lalibela règna 40 années jusqu’en 1180




GONDAR

Alors que Lalibela cesse d’être la capitale, le centre du pays se déplace vers le sud, vers Debre Birhan. Il ne va pas s’y fixer. La menace de l’Islam et les troubles intérieurs obligent les souverains à de continuels déplacements vers les points chauds de leurs possessions.

Pendant des siècles, l’Ethiopie sera sans véritable capitale, le camp royal y tenant lieu. Il faut attendre le XVIIème siècle pour voir surgir une nouvelle ville royale sous l’impulsion du roi Fassilidas (du grec Basileus = Basile) ce sera Gondar.


De Yékumo Amlak (1268/1283) à Fassilidas (1632/1667) 30 souverains se succédèrent. Susenyos (père de Fassilidas), Yoannès 1er, David III, Yassou, Mickael Souhoul. On y vivait dans le luxe, selon l’étiquette la plus stricte.

Durant cette période, Le sultan d’Egypte reprit ses persécutions contre les Chrétiens. Vite réprimés par l’annonce du détournement des eaux du Nil Bleu vers l’Egypte. Les Gallas Païens venus du Su-Est, envahirent l’Ethiopie. L’Imam Sultan Ibn Ibrahim El Gazi dit « Le Gragne » (le gaucher) à la tête de hordes musulmanes, tente d’imposer par la terreur la religion Islamique.

Fassilidas, contemporain de Louis XIII, Richelieu, Corneille et Louis XIV, régna 28 ans. Gondar commença à décliner vers le XIXème siècle. Derrière les coulisses de la Cour, le chaos grandissait. Le poison, la torture et l’assassinat étaient des méthodes de lutte politique appliquées avec prédilection. Des seigneurs féodaux exercèrent un pouvoir bien réel, manipulant la Cour par des insinuations ou par la violence. Ce fut la période des « Ras » des Princes.


BAHAR DAHR ET LES ILES DU LAC TANA

Le Nil Bleu « Abbai » (783 km) prend sa source à 2 900 m d’altitude au Su Ouest du Lac Tana dans les montagnes de l’Augaumeder, on le nomme à cet endroit, « Gish Abbai Mickael » (Petit Nil).

Après environ 65km de course il entre dans le lac Tana où il a creusé un lit et en ressort à une trentaine de kilomètres, au sud de la ville de Bahar Dahr (cité balnéaire), pour faire un plongeon de 50m, au fond de gorges de basalte noir « Tissiat » (Fumée-Eau), puis s’engouffrer sous le pont des Portugais (1690) « Tisoha Dildil » et poursuivre sa route vers Karthoum (Soudan).
Où il rejoint le Nil Blanc (6 671 km) – Source au Lac Victoria – pour devenir « Le Nil » qui se jette dans la mer Méditerranée non sans avoir au passage gorgé de ses alluvions toute la région du Delta en Egypte.

Le Lac Tana, la plus vaste étendue d’eau d’Ethiopie, est une véritable mer intérieur (3 600 km²). Long de 85 km, large de 65 km, sa profondeur est de 14 m en moyenne, Il compte trente îles et trente huit monastères. Des colonies de crocodiles et hippopotames hantent sa partie sud.
Le lac, déjà connu par Ptolémée qui le nomma « Chloe Palus » (Marais Creux), recèle des signes évidents de fréquentation ancienne, probablement Axoumite. Il devient le centre politique de l’Ethiopie à la fin du XIIIème siècle lors du retour au pouvoir de la dynastie Salomonide, après la chute de la Famille Zagoué.
Les principaux centres d’intérêt de la zone sont « Les Chutes du Nil »,une ballade en barque à moteur sur le Lac Tana avec visite de quelques monastères sur la presqu’île de Zéghé ou les îles alentours, le marché particulièrement coloré de Bahar Dahr et la petite ville de Weïto réputée pour sa production de Tankwas, embarcations traditionnelles qui datent des temps pharaoniques.


LE HARARGUE









Harar est une curiosité naturelle, un cas unique, qui n'a cessé d'exercer son attrait sur les voyageurs.


Renseignés par les premiers récits de voyage sur Harar, les érudits qui vinrent par la suite ne cessèrent de dépeindre Harar comme un îlot culturel urbain isolé et unique, resté indépendant et indifférent aux influences extérieures. C'est un des rares exemples de ville préindustrielle demeurée intacte.


Harar est juchée stratégiquement (1 855 m d'altitude) sur une colline de granit dans l'escarpement oriental de la Vallée du Rift, elle domine la grande plaine désertique du Danakil au nord et les plaines des Somali au sud.


Point de rencontre entre différentes cultures et important carrefour commercial, Harar s'entoura, au 16ème siècle, d'un rempart de pierre d'une hauteur de quatre mètres pour se protéger des raids incessants des peuplades voisines .


L'histoire passionnante de Harar , son renom de quatrième ville sainte de l'Islam, son importance commercial au 19ème siècle et son occupation successive par les Egyptiens, les Italiens et les Amhara, on amené de fortes influences extérieures, attisé la curiosité des voyageurs Européens et favorisé le mélange des différents groupes ethniques,


Déguisé en marchand Européen, Si Richard Burton, célèbre voyageur Anglais, réussit dans les années 1850, ce qu'aucun Européen avant lui n'avait pu faire ; franchir les portes de la cité, jusque-là interdite a tous les non-mulsulmans.



Peu après, les portes naguère fermées laissèrent passer une foule d'Européens, attirés avant tout par le commerce.

Parmi eux se trouvait Alfred Bardey, négociant Français établi à Aden (Yémen), qui publia plusieurs ouvrages détaillés sur l'architecture, le commerce, les traditions, la population et l'histoire de Harar.



Dans les années 1880, Bardey engagea un autre jeune Français, un poète, pour le représenter à Harar. Son nom était … Arthur Rimbaud (1854/1891).


Commerçant il développait une idée nouvelle par jour mais malgré le soutien qu'Alfred Ilg, conseiller de Ménélik lui apporta, il ne fit pas fortune. Il mourut prématurément le 10 Novembre 1891 dans un hôpital de Marseille suite à l'amputation d'une jambe.




D'ou provient la population distincte de Harar ? Quelle est son origine ? Dans leur langue, Harar s'appelle simplement ge "la ville". Les ge usu ou "gens de la ville" parlent une langue sémitique.


La légende qui entoure Au Abadir 'littéralement Père Abadir) le saint patron de Harar, laisse supposer que ce cheik Musulman est venu dans la région de Harar depuis l'Arabie vers 940/950 après J.C. Il passe pour avoir unifié et converti à l'Islam une grande partie des tribus établies autour d'Harar.


Pendant deux siècles Chrétiens et Musulmans se sont livré bataille. Cependant, si les rois Chrétiens finirent par vaincre les sultans d'Adal à Aoussa dans le désert Afar, ils ne purent jamais s'emparer d'Harar.


C'est au 16ème siècle qu'un jihad historique fut lancé de Harar conduit par Ahmed-ibn al Ghazi, plus connu sous le nom du Gragn (le Gaucher). Celui-ci fut si efficace que le jihad menaça pendant quinze la survie même du royaume Chrétien.


La campagne prit fin de façon tragique en 1543 lorsque le Gragn fut tué et son armée repoussée dans l'Harar, puis dans le désert. L'émir Nur-ibn-Mujahid (1551/1568) est le bâtisseur de la fameuse muraille érigée pour défendre la ville.


A la tête de l'armée Egyptienne Rauf Pasha s'empara de Zeila et de Berbera, les deux portes dont dépendait le commerce Harari. L'émir Muhammed, souverain de Harar, vit peu de raisons de s'opposer à l'occupation de la ville qui s'ensuivit en 1875.


Malgré des impôts massifs prélevés sur la population locale, le trésor Egyptien ne pouvait maintenir des troupes à Harar ce qui, joint à l'occupation de l'Egypte par les Britanniques, conduisit au retrait total des troupes Egyptiennes de l'Ethiopie.





Le vide créé par l'exode des Egyptiens et le climat général d'insécurité qui prévalait alors encouragèrent Ménélik II à s'emparer de cette importante métropole commerciale dans le cadre de sa campagne d'expansion territoriale et d'unification politique.

A la bataille de Chelenko, les troupes de Ménélik fortes de 20 000 hommes défirent facilement les 3 000 fantassins ge usu mis sur pied par l'émir Abdullahai. Le sol de terre des maisons traditionnelles ge usu est peint en rouge, en mémoire du sang versé au cours de cette bataille décisive.
Ménélik II entra en vainqueur dans la ville en Janvier 1887. Pour la première fois, la cité Musulmane était rattaché à l'empire Chrétien. Ménélik nomma son cousin Balambaras, le père d'Haile Sélassié, qui prit ensuite le titre de Ras Makonnen Welda-Mikael, gouverneur de la nouvelle province Ethiopienne.
L'économie locale connut un bel essor et de nombreux travaux publics virent le jour. La fin de l'émirat fut symbolisée par la destruction de la principale mosquée de la ville et par l'érection, à sa place d'une grande église Chrétienne, la Medhane Alem construite d'après les plans d'un architecte Italien, Luigi Robecchi-Bricchetti.

Hormis la grande église plusieurs nouveaux bâtiments publics furent construits dont une prison, un hôtel et l'hôpital Ras Makonnen, qui fut acheté par les Français en 1902. La même année des missionnaire Français construisirent une léproserie juste en dehors des murs de la ville.
En 1906, une école et une succursale de la Banque d'Abyssinie virent le jour. La poste, le télégraphe et le téléphone furent installés à Harar, grâce à la requête de Ménélique II auprès des ingénieurs du chemin de fer, sans quoi le souverain menaçait de couper la ville du reste du monde.

La réputation de Harar comme ville sainte, patrie de saints et centre d'enseignement Islamique suscite encore une grande admiration et un grand respect parmi les Musulmans. Harar abrite 99 mosquées et plus de 300 sanctuaires consacrés à des saints Musulmans. La mosquée Jami, la plus ancienne a 900 ans, malgré son apparence faussement moderne, due à une restauration du 19ème siècle.





La cité ancienne d'Harar est congestionnée, ce qui rend difficile le développement d'infrastructures modernes comme les canalisations et l'accès aux véhicules. Traditionnellement alors que les Portes de la ville étaient fermées, l'écoulement des eaux se faisaient par des trous percés à travers le mur d'enceinte.


Ces trous étaient assez étroits pour interdire le passage à tout intrus, à l'exception des hyènes, d’où le nom de Waraba Nabule ou "Trous de hyène" qui leur a été donné. Plutôt que de constituer une présence menaçante, les hyènes étaient bienvenue.


De nombreux témoignages rapportent comment les hyènes constituaient à Harar un système d'assainissement efficace. Les détritus abandonnés au-dehors pendant la nuit étaient "ramassés" avant l'aube.

L'une des attractions les plus spectaculaire de Harar est le "Repas" servi chaque soir aux hyènes qui foisonnent dans les environs de la ville. A la nuit tombée, un homme issu d'une lignée traditionnelle dévolue a cet exercice lance un appel.



Bientôt les cris caractéristiques de ces redoutables carnassiers se font entendre et des yeux luisants apparaissent dans la pénombre que l'on sent grouiller d'une véritable meute.


L'animal dominant s'approche avec prudence et se saisit du morceau de viande que lui présente l'homme au bout d'un bâton ou qu'il tient parfois même dans sa proche bouche. A sa suite et à l'appel de leur nom, les autres hyènes viennent prendre part au festin, dans un concert d'os brisés et de ricanements.

Ce spectacle, certe intimidant permet d'apprécier la puissance impressionnante de la mâchoire de ces prédateurs pouvant peser 80 kg. Plus qu'une simple attraction touristique, ce cérémonial se confond avec l'histoire même de la ville.


Une légende rapporte que lors d'une famine particulièrement tenace affligeant hommes et bêtes, les habitants d'Harar redoutèrent de devenir la proie des hyènes que la faim poussait jusqu'au cœur de la ville. Pour rétablir l'harmonie, un homme inspiré de Dieu entreprit de nourrir les hyènes pour les maintenir hors de la cité. Depuis lors, ce pacte de bon voisinage n'a cessé d'être renouvelé.